dimanche 9 octobre 2011

"La lune perfide"

Troisième conte pour la nuit de l'obscurité, et la balade contée de ce samedi 15 octobre.  Au cours de mes lectures de ces derniers jours, j'en ai trouvé trois versions dans la collection "Mille ans de contes" ("nature", "du monde entier", "Afrique").  J'ai finalement choisi celle où la lune convainc le soleil de noyer leurs enfants, car ils s'étaient montrés particulièrement insupportables ce jour-là !

Toute ressemblance avec ma progéniture serait évidemment purement fortuite ...


Aux premiers temps du monde, la lune et le soleil étaient copains comme cochons.  "Mon cher soleil" par-ci, "Ma tendre lune" par là : toute occasion était bonne de prendre le thé et bavarder des heures ensemble, aux quatre coins du ciel.
Chacun avait une ribambelle d'enfants.  Les cris et les rires des étoiles et des petits soleils résonnaient dans l'azur.  Le soleil et la lune les regardaient avec amusement jouer à saute-moutons sur les nuages, faire du toboggan sur l'arc-en-ciel, ou avaler une à une les gouttes de pluie.
Tout allait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes.  Mais un jour, on ne sait pourquoi, peut-être à cause d'un ciel chagrin, d'une nuit trop noire, d'une journée trop caniculaire, la lune se met à jalouser le soleil.  Elle n'est recouverte que d'une robe d'argent, tandis que l'autre, cette grosse pastèque, est couverte d'or.  De plus, le soleil flamboie au milieu du jour, il éclaire les fleurs, les arbres, et réchauffe le coeur des hommes.  Tous les animaux aiment virevolter ou paresser sous ses rayons d'or, du papillon multicolore au gros rhinocéros.  Et tout cela, sans qu'il ait le moindre mérite, juste en flânant bêtement dans le ciel bleu.
Tandis qu'elle, la lune...  Elle a plein d'imagination !  Certaines nuits, elle se fait toute ronde, comme un ballon.  Parfois, malicieuse, elle se déguise en croissant dans le firmament.   Ou alors, capricieuse, elle se cache.  Et dire qu'elle n'exerce tous ses talents que pour de rares voyageurs perdus, quelques chauve-souris et de vieux hiboux plein de poux !
Elle décide donc de faire cesser une telle injustice, et de changer le cours des choses !  Un jour que leurs enfants se sont montrés particulièrement insupportables, la lune va trouver le soleil.
- Et si nous les jetions à l'eau, ces garnements insupportables ?  grogne-t-elle.
Le soleil est surpris.  C'est vrai, tous ces galopins l'agacent parfois, mais de là à les noyer ...  Cependant, la lune est son amie : le soleil ne veut lui déplaire pour rien au monde.  Et puis, il a lu les livres des meilleurs psychologues.  Il ne voudrait pas paraître "papa-poule", faire passer ses petits soleils pour des "enfants-roi".  Il hoche donc la tête.
La lune est ravie.  "Il n'y a qu'à les enfermer dans un sac, et le tour est joué.  Un sac pour les tiens, et un sac pour les miens".  A cette époque, il était simple de noyer ses enfants et de se débarrasser des récalcitrants !  
Le soleil se sent bien triste, il regrette à présent.  Mais une promesse est une promesse, n'est-ce pas ?  La mort dans l'âme, il enferme ses petits soleils dans le grand sac, sans deviner une seconde le tour que la lune est en train de lui jouer.  "Il ne croit quand même pas que je vais noyer mes enfants, ce gros bêta", songe la lune.  "Quant il aura jeté les siens dans l'onde noir, il pourra toujours se pavaner, vêtu de sa robe d'or.  Mais lui, il restera tout seul, alors que, moi, je continuerai à me promener avec mes enfants dans la voie lactée.  Les choses seront plus juste ainsi !"
Et tout en se félicitant intérieurement de son astuce, elle empile dans un sac quelques grosses pierres. "voici l'heure, mon ami", glousse-t-elle, et elle jette de toute ses forces le sac dans l'eau.
Le soleil tremble.  A l'idée de perdre ses enfants, une tristesse immense l'envahit.  Mais un pacte est un pacte, aussi terrible soit-il.  Il jette lui aussi son sac dans l'eau sombre.
Les deux compagnons se quittent en se jurant une amitié fidèle et éternelle.  Le soleil, très chagriné, se réfugie dans son lit, et le ciel devient noir d'encre.
C'est alors que le lune fait signe à ses enfants les étoiles de sortir de leur cachette, et la joyeuse troupe s'enfonce dans l'obscurité silencieuse.  "Chantez, dansez, mes chers enfants".  Et tout le monde se met à faire des rondes endiablées.  Tant et si bien que le soleil ouvre un oeil.  Il est suffoqué, estomaqué, indigné !  Il cligne des paupières, croyant être victime d'une hallucination.
- Menteuse !  Tricheuse !  C'est ça, ton amitié ?  Et moi, pauvre sot, qui ne voulait pas te décevoir !
Il est furieux !!!
- Calme-toi, mon ami, dit la lune.  C'est pour le bien de la Terre que j'ai fait cela.  Regarde, sous les feux de tes enfants, la Terre devenait un désert aride, les récoltes étaient brûlées, les rivières et les lacs asséchés.  Pauvres hommes !  
Mais le soleil n'est pas dupe.  "Quelle méchanceté, et dire que je te croyais mon amie !".  Il repart derrière l'horizon et jure de ne plus jamais, au grand jamais, adresser la parole à la lune.
Et c'est depuis ce jour que le soleil boude la lune, et qu'il n'apparaît plus qu'en journée, et tout seul.  La lune, elle, sans doute un peu confuse et surtout inquiète, ne se lève que la nuit.  Ses enfants, les étoiles, continuent de danser et de faire leurs folles sarabandes.
Cette histoire est injuste, n'est-ce pas ?  Les enfants du soleil ne méritaient pas d'être noyés, même s'ils faisaient parfois des bêtises.  Cela, tous les parents du monde vous le confirmeront.  Mais il y a une chose que la lune ne savait pas.  C'est que le soleil, lui aussi, avait triché.  En enfermant ses enfants dans le sac, il n'avait pas fermé la cordelette.  Aussi, une fois plongés dans l'eau, les enfants du soleil s'étaient-ils échappés et transformés en poissons.  Vous savez bien, ceux qui viennent frétiller et scintiller comme des rayons de lumière, lorsque vous plongez la main dans l'eau de la rivière... 
Sources :
- Mille ans de contes, nature, éditions Milan 

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