jeudi 6 octobre 2011

La « princesse de lune »

A l'occasion de la nuit de l'obscurité, Les acteurs locaux (communes, associations...) sont invité à organiser une activité nocturne visant à sensibiliser le grand public
  •  à la problématique de la pollution lumineuse,
  •  à l’usage rationnel de l’énergie (et aux enjeux des changements climatiques),
  •  à l’observation la faune et la flore nocturnes
  •  à l’observation des étoiles...
L'asbl "La petite Jauce" (association pour la défense de la vallée de la petite Jauce, en Brabant Wallon), m'a demandé de conter lors de la ballade nocturne qui aura pour thème cette année : "as-tu conté les étoiles ?"


Quatre contes sur le thème de la nuit ponctueront cette ballade au conservatoire naturel d'Orp-le-Petit.

Le premier, conté près du feu, est un conte populaire japonais très célèbre, sans doute le conte japonais le plus ancien.

Le vieil homme courbe l'échine sous le poids de son fardeau.  Tout le jour, il a coupé des cannes de bambous, dans la forêt profonde qui borde sa maison.  Il ira demain les vendre au marché de la ville.  Au village, on l'appelle le "coupeur de bambous".  Il habite avec sa femme la dernière maison du village.  Une vie paisible.  Un regret, cependant, leur attriste le coeur : non celui des richesses qu'ils n'ont pas accumulées dans cette vie de misère.  Mais celui de ne pas avoir eu d'enfants.  Il est trop tard, à présent, et tous deux le savent bien.
Ce soir-là, au clair de lune, l'homme rentre fourbu d'une rude journée de travail.  Tout-à-coup, il aperçoit une pousse de bambou qui luit d'un éclat étrange.  Au fur et à mesure qu'il s'approche, la pousse émet une lumière de plus en plus vive et dorée.  Sans hésiter, il la tranche d'un coup de hache, pour tenter d'éclaircir ce mystère, et à sa grande stupéfaction, il découvre ... un bébé !
En effet, une ravissante petite fille, pas plus haute que le pouce, est nichée là, entourée d'une lumière dorée.  Il la prend délicatement dans le creux de sa main, se dépêche de rentrer, annonce la nouvelle à sa femme.  "Par la grâce du ciel, nous avons un enfant", et il ouvre la main.  "Comme elle est belle", balbutie la femme toute émue.  Emerveillés devant son visage toute rond, ils décident de l'appeler Kagya-Hime, "princesse de lune".
Le temps s'écoule.  Dans leur petite maison, enfin retentissent des cris et des rires d'enfant.  Mais ce n'est pas le seul miracle.  Désormais, chaque fois que le vieillard coupe une pousse de bambou, il y trouve une pépite d'or ou un diamant.  Bientôt, la famille vit dans l'opulence.  Le vieil homme achète une grande maison, le couple voit avec bonheur grandir la petite fille.  Celle-ci grandit incroyablement vite, elle devient en quelques mois une adolescente à la chevelure dorée, puis une gracieuse jeune femme à la beauté exquise.  Ses parents l'aiment chaque jour davantage.
Bientôt, sa présence est remarquée des habitants du village, et la réputation de sa beauté se répand à travers le pays.  De nombreux jeunes hommes se présentent pour demander sa main.  Parmi eux, il y a des artisans, des paysans, de riches marchands, ...  Cependant, Kagya-Hime les éconduit les uns après les autres.  Elle refuse leurs cadeaux, et préfère rester avec ses parents.  Au secret soulagement de ces derniers, qui se réjouissent de la garder près d'eux !  Cependant, cinq prétendants ne renoncent pas.  Ils s'installent sur le pas de sa porte.
 "Ma fille, cette situation ne peut plus durer" dit un jour son père.  "nous t'aimons, mais si tu veux épouser l'un de ces fiers jeunes hommes, nous l'accepterons".  La princesse réfléchit une nuit, puis elle s'adresse aux jeunes hommes.  "Je vous promets d'épouser celui qui me rapportera un objet de grande valeur".  Au premier, elle demanda des fruits en argent cueilli sur un arbre aux branches d'or, au deuxième une étole de soie plus flamboyante que le soleil, au troisième un éventail couleur du temps, au quatrième un collier d'yeux de dragons, au dernier un papier qui illuminerait la nuit la plus sombre.
Ces tâches étaient évidemment impossibles, aussi grande est sa surprise quand elle voit les 5 prétendants enfourcher leur monture et galoper vers des contrées lointaines.  L'on raconte cinq autres contes des aventures et mésaventures des prétendants.  Le dernier, dit-on, passa sa vie à chercher le trésor que lui demandait la princesse.  L'avant-dernier mourut sous les crocs d'un dragon dont il voulait arracher les yeux.  Le troisième renonça.  Les deux autres revinrent.  Mais lorsqu'ils déposèrent les objets au pied de la princesse, ceux-ci se transformèrent en fruits pourris, en étole de laine grossière, dévoilant la supercherie et la duplicité des prétendants.  Les prétendants, honteux, s'en allèrent pour ne jamais revenir.  Les vieux parents, soulagés, embrassèrent l'enfant qu'ils croyaient avoir perdue.
 Mais leur bonheur fut de courte durée.
Chaque nuit, derrière sa fenêtre, Kagya-Hime regarde la lune.  Et plus la lune s'arrondit, plus elle devient triste.  "Chère fille, que pouvons-nous faire pour te rendre le sourire ?  Pourquoi refuses-tu de te marier ? " demande sa mère.  "Hélas, soupire-t-elle, je ne serai bientôt plus votre enfant et vous n'y pourrez rien !"  "Que veux-tu dire ?" s'inquiéte son père.  La jeune femme pose sa tête sur l'épaule de sa mère, et leur avoue , entre deux sanglots, qu'elle est bien une princesse, mais une princesse née sur la lune.  "Le temps est venu de rejoindre le monde de la lune, et mon peuple viendra me chercher".  "Comment ?  Quand ?" s'alarme son père.  "A la prochaine pleine lune".  "Mais c'est demain !"  s'exclament en choeur le vieil homme et la vieille femme.
"Je les en empêcherai" marmonne le père, et toute la nuit, il se tourne et se retourne dans son lit, à la recherche d'un moyen de retenir sa fille, tandis que sa femme verse toutes les larmes de son corps.  Le lendemain, il va en ville et engage mille samouraïs pour défendre son enfant.  A la tombée de la nuit, une armée de guerriers aux armures rutilantes se postent devant la maison.  
La lune était cachée derrière d'épais nuages.  Soudain, un souffle de vent les balaie et le disque argenté apparaît dans toute sa splendeur. Aussitôt, les samouraïs bandent leur arc, et une pluie de flèches s'envolent puis retombent dans le froid de la nuit.  En riposte, les rayons lunaires fusent vers les hommes armés et percent leurs solides armures.  Eblouis, tous restent figés, telles des statues.  Alors, surgit, dans la lueur blafarde, un carrosse tiré par douze chevaux ailés qui se pose sur le sol.
Kagya-Himé, mue par une force invisible, se lève.  Ses parents s'accrochent en vain à son kimono, tentent de la retenir.  "Puisque tu dois partir, emmène-nous avec toi !".  Kagya-Himé sort de sa large ceinture un petit sachet d'herbes : "je dois partir à présent.  Prenez cette herbe magique en souvenir de moi, elle vous donnera la vie éternelle".  Sur ces mots, la princesse leur sourit tendrement, et monte dans le carrosse qui s'envole vers le ciel.
Le vieil homme et sa femme, en pleurs, regardent partir celle qui leur a donné tant de joie.  Bientôt, les nuages couvrent la nuit étoilée.  La mère serre contre son coeur le petit sachet d'herbes.
Et la vie reprend son cours.  Un jour, le couple s'habille chaudement.  Il emporte le cadeau de son enfant et part vers la montagne.  Péniblement, affrontant le froid, oubliant leur fatigue, ils escaladent la montagne et atteignent le sommet. Tout là-haut dans le froid et la bise, ils allument un feu pour se réchauffer.  Le vieil homme prend la main glacée de sa femme dans la sienne, "longtemps, nous avons vécus seuls.  Puis la lune nous a donné une fille.  Ce fut un grand bonheur.  Maintenant qu'elle nous l'a reprise, à quoi bon vivre éternellement ?".   Et, il jette le sachet d'herbes dans les flammes.  Ils rentrent chez eux.  Jusqu'à ce que la mort vienne les cueillir, chaque nuit de pleine lune, ils se penchent à la fenêtre et sourient à leur petite princesse.    
Depuis ce temps, s'élève de la montagne une petite fumée, qui rappelle l'histoire de la fille du coupeur de babous.  C'est depuis lors qu'on l'appelle le mont Eternité, qui, vous l'avez deviné, en japonais se dit Fuji...

Sources : 
- Mille ans de contes, contes du monde entier, éditions Milan
http://experience-japon.over-blog.com/article-35983528.html

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