samedi 20 avril 2013

Aurore et Crépuscule


Une variation sur le thème de la Belle et de la Bête, découverte dans ce petit livre déniché en solderie, et qui regorge de trésors.  

Un conte vraiment très étrange.  Les images sont magnifiques : dégoût à l'idée d'épouser le serpent, les petites dames bienveillantes mais obéissantes, le personnage énigmatique de la chatte.  Conte étonnant, car c'est la désobéissance de l'héroïne qui assure l'heureuse fin de l'histoire ...  Ne pas obéir et écouter son cœur  passer au delà des apparences ...  Cette idée que l'on peut toujours agir avec sa conscience me parle beaucoup.
Lorsque je l'ai conté, il a suscité de vives réactions : incompréhension, indignation chez les enfants à l'idée qu'Aurore ne soit pas punie (alors que son seul "crime" est d'être la préférée de ses parents !). 
Je vais donc le retravailler, car je crois qu'il ne peut pas être perçu dans toutes ses subtilités en une seule écoute.  Les méchants seront "punis" à la fin (je vous épargne les supplices, plus atroces les uns que les autres, imaginés par les enfants pour châtier cette pauvre Aurore...).  Parce que, dans la "vraie" vie, ce n'est pas toujours le cas... Alors, rêvons que les gentils gagnent, au moins dans les histoires ...

Le roi et la reine de ce pays avaient deux filles, qu'ils avaient appelées Aurore et Crépuscule.
D'Aurore ou de Crépuscule, quelle était la plus jolie ?  Les avis étaient très partagés ...
Les parents trouvaient qu'Aurore, leur préférée, était plus belle.
Il est vrai que ceux qui pénétraient pour la première fois dans le château étaient éblouis par Aurore, ses cheveux blonds, ses yeux bleus, son teint de porcelaine.  Certes, elle dépassait en beauté sa sœur  qu'on remarquait à peine.  Mais si on passait une journée avec les deux sœurs  on s'apercevait qu'au fil du temps, on trouvait Aurore moins jolie, et Crépuscule de plus en plus agréable à regarder.
A chaque bal que donnait le roi, Aurore était très entourée au début, tandis qu'à la fin de la soirée, tous les jeunes gens se retrouvaient près de Crépuscule.
Le roi et la reine, agacés, se disaient que c'était sûrement de la sorcellerie, et que Crépuscule attirait les galants par des potions ou formules magiques.  Mais pas du tout.  Ceux qui connaissaient les deux princesses le savaient : Crépuscule était gaie et aimable, tandis qu'Aurore, frivole et capricieuse, n'était que belle.

Mais cela, les parents ne s'en rendaient pas compte.  Ils étaient seulement agacés, car ils voulaient le meilleur mariage pour leur fille Aurore, la préférée ...

Un soir, alors que le bal touchait à sa fin et qu'Aurore n'avait plus que son père pour l'inviter à danser, le roi se mit en colère.  La dernière danse finie, il dit à sa femme :
- j'ai bien réfléchi : nous devons nous débarrasser de Crepuscule.  Quand elle ne sera plus là, Aurore pourra enfin avoir le succès qu'elle mérite
- C'est vrai, dit la reine, Crépuscule empêche notre Aurore de briller.  Je suis sûre que c'est par sorcellerie.
- Si Crépuscule est une sorcière, nous devons nous en séparer !
- Vous avez raison, mon ami, c'est notre devoir de bons parents.
Et d'arguments douteux en affirmations de mauvaise foi, voilà le roi et la reine bien décidés à éliminer Crépuscule ...

Ils appelèrent la jeune fille
- Ma fille, dit le roi, votre mère et moi avons décidé que vous deviez partir immédiatement chez votre marraine pour parfaire votre éduction
- Bien, mon père, je partirai dès demain
- qui parle de demain ?  éclata le roi.  Vous partirez dès ce soir
- Mais... il fait nuit noire...
- Allons, dit la reine avec amabilité, un serviteur vous accompagnera et portera la lanterne.

Crépuscule n'osa rien dire.  Certes, un séjour chez sa marraine l'enchantait, car elle y serait choyée, bien loin des méchancetés de sa sœur et des reproches de ses parents.  Mais treverser la forêt durant la nuit la terrifiait ...
Elle enfila son manteau, emporta un panier de provisions.

La nuit était noire et terrifiante.  Partout, des arbres menaçants, des buissons inquiétants où sûrement se cachaient des âmes perdues.  Crépuscule tremblait de peur.  Heureusement, le serviteur éclairait le chemin avec une lanterne.
Mais soudain, la lanterne s'éteignit.  Un coup de vent ?  Non, il n'y avait aucun souffle.  En même temps que s'éteignait la lumière, Crépuscule entendit les pas précipités du serviteur.  Il l'abandonnait !  Repartait seul au château comme il en avait reçu l'ordre !
Crépuscule se hissa sur une branche pour se mettre à l'abri, et, tremblante de froid et de peur, elle attendit le jour.
A l'aube, elle regarda autour d'elle et ne reconnut rien.
Perdue.  Elle était perdue.
Elle ravala les larmes qui lui étranglaient la gorge, et s'enfonça dans la forêt.

Soudain, elle n'en crut pas ses yeux.  Dans le lointain, les rayons de soleil faisaient miroiter une sorte de château merveilleux, qui semblait taillé dans le cristal.
Toute heureuse, Crépuscule courut dans cette direction.  C'était à vous couper le souffle : le château était comme illuminé de l'intérieur, et diffusait une chaude lumière.

Crépuscule frappa à la grande porte.

Elle attendit un long moment, sans réponse.   Le château était-il désert ?
Elle frappa encore.  Au bout d'un moment, elle entendit le murmure de toutes petites voix.  Enfin, au bout d'un moment, le lourd battant s'ouvrit.

Crépuscule n'en crut pas ses yeux : elle voyait devant elle de toutes petites dames, pas plus hautes que le coude.  Elles avaient dû faire la courte échelle pour parvenir au loquet de la porte.
- pardonnez-nous de vous avoir fait attendre
- bonjour, dit Crépuscule, je me suis perdue dans la forêt.  Pourriez-vous me conduire chez le maître de ce château ?
Du fond de la pièce, parvint une voix douce et veloutée :
- Je suis la châtelaine de ces lieux.

Et Crépuscule s'aperçut avec étonnement que celle qui venait de parler était une chatte blanche.
- Je peux t'offrir l'hospitalité, dit la chatte, mais tant que tu seras ici, tu ne devras jamais désobéir à mes ordres.
Crépuscule ne savait où aller.  Elle réfléchit et demanda :
- je suis votre hôte, je ferai ce que vous me direz.
Mais, de peur d'avoir parlé trop vite, elle s'inquiéta :
- et quels sont ces ordres ?
- tu peux aller et venir comme bon te semble.  Mais je ne veux pas que tu t'approches de l'étang.
Cela parut facile à Crepuscule et elle accepta.

La vie au château était douce et confortable.  L'étang était loin, mais reflétait doucement les rayons du soleil. Crépuscule aurait bien voulu comprendre pourquoi on lui interdisait de s'en approcher.  Un ordre était un ordre, mais ne pas en comprendre les raisons l'ennuyait.
Elle les demanda à la chatte, qui refusa de lui répondre.

Un jour qu'elle se promenait dans le parc, Crépuscule perçut un éclat étrange sur l'étang.  Intriguée, elle s'approcha.
Elle vit un serpent blanc sortir du lac.

Pétrifiée de terreur (Crépuscule avait une peur horrible des serpents), elle le regardait s'approcher, sans plus savoir faire un geste et s'enfuir.
- N'aie pas peur, belle amie, je ne te ferai aucun mal.  Depuis si longtemps, je n'ai personne à qui parler.  Ne t'en va pas, je t'en supplie.

Un serpent qui parle !  Crépuscule, malgré le dégoût qui lui révulse les entrailles, s'approche de quelques pas.  Elle se sent comme attirée par les yeux du serpent, emplis de douceur.  Elle bredouille quelques mots, et il lui répond avec tant d'amabilité et d'intelligence qu'elle en oublie l'heure et le temps.

Quand elle s'aperçoit que le soleil se couche, elle se relève d'un bond, promet de revenir le lendemain et court vers le château.

Hélas, la chatte l'attend sur le seuil de la porte, ses yeux verts fulgurants de colère.

- Qu'on jette cette désobéissante dans un bain de lait bouillant ! crie-t-elle

Aussitôt, les petites dames se précipitent pour saisir Crépuscule et la plonger dans la marmite.

Quand Crépuscule se réveille, elle souffre de partout.  Les petites dames la soignent de leur mieux.

- Nous ne t'avons pas laissée trop longtemps dans la marmite, mais ne recommence pas, ou il t'en cuira !

Crépuscule mit 3 jours à panser ses blessures.  Elle ne cessait de penser au petit serpent, elle lui avait promis de revenir, et se désolait de ne pouvoir tenir sa promesse.

Dès qu'elle peut tenir debout, sans plus songer à la punition, elle retourne à l'étang.  Elle trouve le serpent tout triste :
- je croyais que tu m'avais oublié, dit-il
- on m'a empêchée de venir, répond simplement Crépuscule pour ne pas l'inquiéter
Et pour le consoler, elle demeure avec lui encore plus longtemps que la première fois.
- Qu'on jette immédiatement cette désobéissante dans un bain d'huile bouillante !

Huit jours après, malgré les soins des petites dames, Crépuscule ne tenait toujours pas debout.  Dans son lit de souffrance, elle pensait sans cesse au petit serpent.
Quand elle sut que la chatte blanche s'était absentée, elle se lève tout de même, se traîne jusqu'à l'étang.
Elle trouve le serpent très amaigri ...
- tu n'es pas revenue, lui dit-il, et maintenant, je vais mourir ...
- Non, cria Crépuscule, ce n'est pas ma faute, je t'assure ...
Le serpent ferme les yeux.
- Que faut-il faire pour te sauver ?
- Quelque chose d'impossible
- Quoi ?
- M'épouser
Crépuscule recula d'effroi : épouser un serpent ?  Non, elle ne le pouvait pas.  Les larmes lui montèrent aux yeux, et elle s'enfuit en courant.

Elle passa une affreuse nuit.  Sans cesse, elle voyait le serpent expirer au bord de l'étang  Dès les premières lueurs du jour, elle se précipita vers la pièce d'eau et le trouva exténué.  Déjà, ses yeux se faisaient vitreux, la mort était sur lui.
- Ne meurs pas ! cria-t-elle, je t'épouserai.
Le serpent ouvrit ses yeux fatigués, et Crépuscule, émue, y vit un amour immense.
Elle se retourne subitement : la chatte blanche était là, sa vie était finie !  Elle ferme les yeux, pensant entendre une sentence de mort.
Mais la chatte blanche la regarde sans dire un mot.  Elle se détourne et regagne le château.

Quand Crépuscule rentre au château, elle voit que tout est préparé pour le mariage.  Alors, elle revient à l'étang, prend malgré son dégoût, le serpent dans sa main et se dirige vers la chapelle.
On demande au serpent s'il veut prendre Crépuscule pour épouse, et il dit oui.
On demande à Crépuscule si elle accepte de prendre le serpent pour époux.  Elle ne peut que remuer faiblement les lèvres.  Mais en voyant les yeux angoissés du serpent fixés sur elle, elle répond "oui" dans un murmure.

Ce mots à peine prononcé, tout sembla éclater autour d'elle  Le serpent était devenu un prince magnifique, la chatte, une jolie jeune fille dans sa robe de velours rouge.

Le prince la serre dans ses bras :
- tu as été bonne et charitable.  Tu nous as sauvés de la malédiction de la sorcière

Comme Crépuscule restait toute ébahie, le prince explique :
- ma soeur était chatte blanche, et moi j'étais serpent  ... jusqu'à ce qu'une femme accepte de m'épouser, et j'ai trouvé cette femme merveilleuse.

Les yeux de Crépuscule croisent ceux du prince.  Oui, elle les reconnait.  Elle sait alors que c'était à cause de son regard qu'elle avait accepté d'épouser le serpent.

[Pour la fête de leur mariage, on invita Aurore et les parents de Crépuscule.  Quand elle vit le prince et le château de nacre, Aurore crut s'étouffer de jalousie.  Mais sa méchanceté et sa jalousie ne punirent qu'elle, car il n'est pire châtiment pour un cœur envieux que d'assister au bonheur des autres.]

Le prince et Crépuscule se marièrent, ils eurent beaucoup d'enfants et furent très heureux ...





1 commentaire:

tatam a dit…

Moi, je n'aime que les histoires qui se terminent bien ! Dans lesquelles les moins jolies sont aimées et l'amour triomphe... j'ai dit !! ;o)