jeudi 11 septembre 2014

Les 7 laits



Cette histoire est arrivée en des temps très anciens, dans un pays de sable brûlé par le soleil.  Y régnait alors  un sultan rempli d'orgueil ...
Ce sultan était marié, et sa jeune femme attendait un bébé.  Le sultan voulait un fils.  Un fils pour lui succéder, un fils fabuleux, un fils à l'image de son père, un fils qui deviendrait un roi craint et respecté.  
Au fil des mois, le ventre de son épouse s'arrondit.  Déjà elle gazouille des mots d'amour en caressant son ventre.  Cela agace le sultan au plus haut point : son fils deviendra une mauviette en écoutant de telles fadaises !
Aussi ordonne-t-il à son épouse de se taire.  Et il convoque les plus grands savant pour donner des leçons de mathématiques et de philosophie politique au ventre de son épouse. 
Quelques semaines plus tard, la sultane met au monde son bébé.  Un fils !  C'est un fils !  Le sultan est fou de joie.  Il décrète que qu'aucune femme au monde, pas même sa mère, n'est digne de nourrir un être aussi exceptionnel !
Son vizir s'étonne :
- Seigneur, quelle nourriture est meilleure pour un petit que le lait de sa mère ?
- Il sera nourri comme nul enfant, jamais, ne l'a été.  Sept laits vont nourrir mon enfant et lui donner les sept vertus qui feront de lui un souverain d'exception. Le lait de tigresse le rendra puissant comme un tigre; le lait de l'éléphante lui donnera l'intelligence et la mémoire de l'éléphant; le lait de la jument le fera beau comme un étalon; le lait de la chamelle lui donnera la sobriété du chameau et le lait de l'ourse la force d'un ours; en buvant le lait de la hase il acquerra la vitesse du lièvre, tandis que le lait de la chatte le rendra adroit comme un chat. Tel sera mon fils, en tous point parfait. 


Et il fut fait ainsi que l'avait décidé le sultan.

On sépara l'enfant de sa mère, qui en mourut de chagrin.
 

Nourri aux sept laits, l'enfant grandit, devint adolescent, puis jeune homme. Approchait pour lui le moment de prendre femme, et son père cherchait de par le monde une princesse digne de devenir l'épouse de son fils.
Or, en ce temps-là, la fille unique d'un roi de Boukara voisin parvint à l'âge où l'on se marie et son père convia à une fête tous les jeunes hommes vaillants et valeureux pour que la belle princesse puisse choisir parmi eux son époux.
En apprenant cela, le sultan dit à son fils :
- Cette fiancée te convient, mon fils ! Elle est noble et belle. Va et ramène-là, car tu vas briller au milieu des autres comme la lune resplendit au milieu des étoiles !
Ne voulant pas rater une miette du triomphe de son fils, le sultan l'accompagna, avec une nombreuse suite.  Ahmad, le fils du vizir l'accompagnait.  Il avait le même âge que lui et lui servait de confident et garde du corps. Pendant quarante jours ce fut la fête. Les festins succédaient aux chasses, les danses aux compétitions, les courses de chevaux aux concours de musique. Dans chaque épreuve, le fils du sultan s'efforçait de surpasser les autres. 
Et à la fin du quarantième jour, la princesse s'adressa à tous les jeunes gens et leur parla :
- Soyez remerciés vous tous, qui êtes venus ici et qui avez rivalisé de force, d'adresse et de courage. Tous, vous êtes digne d'amour, mais un seul a ravi mon coeur.   
Déjà, le fils du sultan, sûr d'être l'élu, s'avançait, le front haut et l'air arrogant.
- Ahmad, fils du vizir, dit la princesse d'une voix douce, tu possèdes déjà mon coeur, acceptes-tu de m'épouser ?
En apprenant cela, le sultan entra dans une violente colère. 
Il demanda raison au roi de Bokhara et le menaça :
- Le choix de ta fille nous insulte ! Non seulement elle a refusé mon fils, mais elle lui a préféré son serviteur. Pareil affront demande réparation, seul le sang peut laver une telle injure !
Le roi était un homme sage. Il dit :
- Je comprends ta colère et ton chagrin de père. Et c'est en père que je vais te parler. Ton fils, hélas, est féroce comme un tigre et lâche comme un lièvre; laid comme un chameau et balourd comme un éléphant, il est stupide comme un ours et perfide comme un chat. D'autre part, il est aussi instable et ombrageux qu'un cheval rétif. Sois honnête et réponds-moi en père : pouvais-je rêver pour ma fille d'un tel prétendant ?
 

Toute colère quitta le coeur du sultan.  Il ne restait plus que le chagrin. Il demanda, plein d'amertume :
- Quel est donc le lait qui a nourri le fils de mon vizir pour le rendre digne de ta fille ?
Le roi de Boukara répondit doucement :
- Le sein de sa maman l'a nourri de lait et d'amour. Et il est devenu un homme.


A ces mots, accablé, le sultan courba la tête.

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